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Le père Thierry-Dominique Humbrecht
Deux interventions récentes du père Thierry-Dominique Humbrecht nous poussent à la réflexion.
L'une à l'Académie des sciences morales et politiques, le 15 janvier 2015. Vous pouvez entendre la retransmission grâce à ce lien.
http://www.canalacademie.com/emissions/des125.mp3
L'autre sur Figarovox, le 19 janvier dernier.
Le théâtre du vide
Tribune du Figaro, lundi 19 janvier 2015
Au-delà de la tragédie des attentats et de la mobilisation nationale, les discours laissent percer des enjeux. Leurs entrelacs jusqu’à l’ambiguïté vont se répercuter longtemps.
L’émotion dangereuse
La manifestation n’a pas seulement été portée par l’émotion, elle l’a représentée. Le gouvernement et les médias l’ont même suscitée, en la déclarant telle dès le début, la modelant ainsi avec une maestria qui serait impressionnante si elle n’avait bénéficié de tels moyens, qui rendaient la tâche aisée. C’est sous l’angle de la réponse émotionnelle qu’il fallait prendre parti. Le slogan « Je suis Charlie », opportunément universalisé, traduisait lui aussi un unanimisme rare. La raison de son succès, outre le désir de chacun de s’associer à une légitime protestation, est la pauvreté de son contenu, fondé sur une identification fusionnelle aux victimes, sans réflexion et surtout sans objet. Cette manifestation fut unique par son ampleur mais aussi par son absence de but. Elle était motivée par le refus du terrorisme et par l’affirmation de la liberté démocratique mais elle n’avait pas de but, comme c’est le cas d’habitude pour obtenir quelque chose ou l’empêcher.
Reste l’émotion collective, alliée d’un jour mais alliée dangereuse lorsqu’elle est seule. Elle sert toutes les manipulations, sur fond de faiblesse du discours rationnel, lequel se prête au contraire aux motifs, à la distance et à la critique. Les fascismes savaient la force de l’émotion collective et en usaient. Les médias devraient devenir plus responsables dans leur maniement de l’émotion des masses.
La liberté des crayons
L’enjeu, malgré les apparences, n’était pas celui de la liberté d’expression. Tout de même, le sympathique slogan « liberté des crayons » gagne à être examiné. Sa limite est de n’être pas un absolu. Un dessin ou un texte ne sauraient attenter à ce qui est par ailleurs dénoncé à grand spectacle, l’intolérance, l’injustice, la diffamation, la calomnie. Il faut choisir. Notre société postmoderne, libertaire d’un côté et moralisatrice de l’autre, n’a pas choisi. Elle joue sur les deux tableaux, comptant sur l’incohérence du menu peuple. La vérité du slogan est de rappeler la liberté de critique, vertu française.
Pourtant, au quotidien, nous la pratiquons si peu. Est-elle possible en entreprise, à l’école, à l’université, au bureau, devant son son patron, ses collègues, son parti ? Tout le monde rampe et se tait, peur de perdre son poste, son pouvoir, son influence. Un exemple suffit : toutes les opinions (supposées respectables) sont-elles à égalité dans les médias ? Soyons sérieux.
La laïcité papesse
Le sous-entendu de l’orchestration de ces journées apparaît tout autre, autrement profond et problématique. Il est celui du théâtre de la laïcité, joué par elle-même. Ou plutôt du laïcisme, qui en est le moteur idéologique, agressif, intolérant, sectaire et récurrent, visant à faire disparaître les religions de toute vie sociale (politique mais aussi culturelle, éducative, universitaire, scientifique, médiatique, etc.). Les religions sont en elles-mêmes des régressions, elles s’opposent à la raison et sont causes de divisions (la crèche) et de violences (les attentats). Elles doivent rester confinées dans l’espace privé, sous réserve qu’il ne trouble pas l’ordre, solaire et bienfaisant, d’une société athée.
Le théâtre politique auquel nous assistons est celui de l’unité d’une nation forgée par les seules valeurs de la laïcité. La laïcité s’est couronnée elle-même de la tiare de papesse des religions, impitoyable si elles bronchent, bonhomme si elles plient l’échine. Les catholiques sont habitués. La laïcité a été faite par eux, pour eux et contre eux. Leurs vertèbres se sont modifiées en conséquence. Ils ont inventé la distinction du temporel et du spirituel, qui n’existe que dans une civilisation chrétienne. D’où la difficulté de la laïcité à admettre qu’elle doit tout ce qu’elle est au christianisme, et qu’elle n’est pas pertinente pour l’Islam, qui ne reconnaît pas cette distinction. La laïcité est une fille prodigue de la providence chrétienne selon laquelle Dieu rend l’homme responsable de ses actes, mais pas de la théologie musulmane.
Le vide spirituel
Les discours théologiques des partisans de la laïcité, qui ne manquent jamais d’en produire, sont à pleurer de bêtise ou à mourir de rire. Un laïcisme plus intelligent étudierait les théologies des religions, seule manière pour lui de les comprendre. Les religions ne sont pas bâties sur le même modèle. Le modèle auquel se réfère d’instinct la laïcité, ainsi d’ailleurs que la culture française, est le modèle chrétien, fondé sur la distinction de la nature et de la grâce. Il n’est pas universel, il est au contraire spécifique. L’amour, le salut, la responsabilité et le pardon sont-ils des valeurs religieuses universelles ? Non. Elles sont bibliques. L’État et la culture laïque vont buter sur leur propres limites. Leur ADN à la fois chrétien et antichrétien, cette volonté de poser la raison comme seul principe fédérateur, est pensé pour les chrétiens, moyennant pour eux quelques mutilations.
Ces journées révèlent le besoin d’un pays de trouver son âme mais aussi le vide spirituel d’une culture sans Dieu, et l’impuissance d’une laïcité arrogante d’y porter remède. Deux failles que les musulmans ont perçues depuis longtemps. Comme souvent, ce sont les chrétiens qui vont casquer.
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/01/19/31003-20150119ARTFIG00118-laicite-et-islam-je-t-aime-moi-non-plus.php
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