Pourquoi l'Amazonie mérite un synode.
LA CIVILTA CATTOLICA N. 0919 DU 30 SEPTEMBRE 2019
© Éditions Parole et Silence/La Civilta Cattolica, 2019
POURQUOI L'AMAZONIE MÉRITE UN SYNODE
Michael Czerny sj et Mgr David Martínez de Aguirre Guinea op
Introduction
Cet article propose une réflexion préparatoire en vue du Synode des évêques pour l’Amazonie, qui se tiendra à Rome du 6 au 27 octobre 2019. Il aura pour thème : « Nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ». Il examinera des enjeux importants pour « chaque personne qui habite cette planète », selon l’expression employée par le pape François dans l’introduction de Laudato si’ (LS).
Pourquoi l’Amazonie est-elle importante au point qu’on lui consacre un Synode ? Qu’est-ce que « l’écologie intégrale » et quels pourraient être de « nouveaux chemins » pour l’Église ? Enfin, qu’est-ce qu’un Synode ? Le présent document offre des réponses à ces questions.
1) L’Amazonie
Voici quelques faits importants au sujet de la région de l’Amazonie :
7,8 millions de km2, soit à peu près la taille de l’Australie
Comprend des parties du Brésil, de la Bolivie, du Pérou, de l’Équateur, de la Colombie, du Venezuela, du Surinam et de la Guyane française
Peuplée par environ 33 millions d’habitants, dont 3 millions sont des Autochtones appartenant à 390 groupes ou peuples
Impact sur l’écosystème planétaire : le fleuve Amazone et les forêts tropicales environnantes nourrissent le sol et régulent, par le recyclage de l’humidité, les cycles de l’eau, de l’énergie et du carbone au niveau planétaire
Les problèmes suivants ont été relevés par les communautés elles-mêmes comme des enjeux critiques au cours d’une consultation de grande portée en préparation pour le Synode :
la criminalisation et les assassinats de dirigeants et de défenseurs du territoire
l’appropriation et la privatisation des biens naturels, comme l’eau
les concessions forestières légales et l’entrée d’exploitants illégaux
la chasse et la pêche prédatrices, principalement dans les fleuves
les mégaprojets : hydroélectriques, concessions forestières pour la production de monocultures, la construction de routes, de voies ferrées, le développement de projets miniers et pétroliers
la contamination provoquée par toute l’industrie extractive qui entraîne des problèmes et des maladies, surtout chez les enfants et les jeunes
le trafic de drogue
les problèmes sociaux liés à ces dangers, comme l’alcoolisme, la violence envers les femmes, le travail sexuel, le trafic de personnes, la perte de leur culture d’origine et de leur identité (langue, pratiques spirituelles et coutumes), et toutes conditions de pauvreté auxquelles sont condamnés les peuples d’Amazonie (IL 15).
D’autres éléments sont signalés dans l’Instrumentum Laboris (IL):
L’absence de démarcation du territoire autochtone, et l’absence de reconnaissance des titres de propriété foncière des Autochtones. Pour la population de l’Amazonie, le « territoire » désigne la terre comme espace naturel et lieu de la réalité humaine dans toute sa diversité, ses relations et ses échanges, qu’ils soient de nature matérielle, symbolique ou spirituelle. Les peuples et l’écosystème (humus) sont dynamiquement interdépendants. Pour de nombreux peuples de l’Amazonie, le territoire est également l’endroit où se trouvent leurs racines historiques, où résident les esprits de leurs ancêtres, et où ils peuvent vivre toutes les dimensions du buen vivir ou « bien vivre ». Ces connotations du « territoire » correspondent à la « maison » de François (dans l’expression « notre maison commune »), terme qui désigne la relation et la responsabilité entières de notre planète.
La perte rapide de la biodiversité (extinction d’espèces de flore et de faune).
Dans certains cas, des abus contre la nature sont commis par les peuples de l’Amazonie eux-mêmes (IL 31).
Les conséquences pour la planète, puisque la forêt tropicale constitue le « poumon » de l’atmosphère du monde.
La cosmovision de l’Amazonie et la vision chrétienne du monde sont toutes deux en crise en raison de l’imposition du mercantilisme, de la sécularisation, de la culture du tout- jetable et de l’idolâtrie de l’argent (voir EG 54-55). Cette crise affecte spécialement les jeunes et les milieux urbains qui perdent les racines solides de leur tradition. De plus, les migrations des dernières années ont également accru les changements religieux et culturels dans la région. La vie actuelle dans les villes est souvent dure pour les rêves et les aspirations des gens, et bien souvent désoriente et ouvre les portes à des messianismes transitoires, déconnectés, aliénants et vides de sens (IL 27, 32).
La crise dans la région de l’Amazonie s’approche d’un point de non-retour. L’Amazonie est devenue un objet d’attention dramatique. La problématique générale que doivent affronter la vie humaine et l’environnement naturel de cette région est indiscutable. Ils subissent tous deux une destruction sérieuse et peut-être irréversible.
Au début de 2018, le pape François a tenu les propos suivants aux peuples autochtones de l’Amazonie :
Probablement, les peuples autochtones amazoniens n’ont jamais été aussi menacés sur leurs territoires qu’ils le sont présentement. L’Amazonie est une terre disputée sur plusieurs fronts : d’une part, le néo-extractivisme et la forte pression des grands intérêts économiques qui convoitent le pétrole, le gaz, le bois, l’or, les monocultures agro-industrielles. D’autre part, la menace visant ses territoires vient de la perversion de certaines politiques qui promeuvent la « conservation » de la nature sans tenir compte de l’être humain et, concrètement, de vous, frères amazoniens qui y habitez. Nous connaissons des mouvements qui, au nom de la conservation de la forêt, accaparent de grandes superficies de terre et en font un moyen de négociation, créant des situations d’oppression des peuples autochtones pour lesquels, le territoire et les ressources naturelles qui s’y trouvent deviennent ainsi inaccessibles. Cette problématique asphyxie vos populations et provoque la migration des nouvelles générations face au manque d’alternatives locales. Nous devons rompre avec le paradigme historique qui considère l’Amazonie comme une réserve inépuisable des États sans prendre en compte ses populations.
Voilà le bon moment d’écouter la voix de l’Amazonie « à la lumière de la foi » (IL 147) et de répondre « comme Église prophétique et samaritaine » (IL 43).
2) Nouveaux chemins pour une écologie intégrale
La notion d’« écologie intégrale » est proportionnée aux problèmes et aux possibilités qui se présentent en Amazonie. Elle constitue à la fois un guide et un objectif pour le Synode.
Dans le titre de Laudato si’, l’expression « sur la sauvegarde de la maison commune » est significative : la formulation est belle et frappante. Mais la notion clé de l’encyclique, « l’écologie intégrale », n’est pas aussi évidente et elle pourrait ne pas éclairer immédiatement les lecteurs, et encore moins les motiver.
Tout le monde sait maintenant plus ou moins ce que signifie « l’écologie ». L’ajout du qualificatif « intégrale » lui donne une connotation étrange, voire énigmatique. L’« intégralité » signifie habituellement la « totalité » et l’unité du « tout ». Elle affirme que tous les éléments essentiels sont inclus et présents, qu’aucun élément ne manque, et que ces éléments essentiels sont reliés ou combinés harmonieusement à l’intérieur du tout.
Par ailleurs, l’intégralité élimine l’exclusion, la réduction ou l’isolement. « Intégral » s’entend habituellement en un sens positif ou valorisant. L’adjectif « intégrale » confère à l’idée de l’écologie une portée et un poids plus grands.
Dans Laudato si’, le pape François démontrait que le monde est aux prises avec une crise de survie. « Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS 49). Le cri de la terre et le cri des pauvres forment un seul et même cri, et l’Église doit entendre ce cri et y joindre sa voix. Voici certains des attributs particuliers d’une approche d’écologie intégrale :
« une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales » (LS 137) de même que des dimensions naturelles et économiques (LS 138)
« L’écologie intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique sociale » (LS 156) ; cette « vision globale » inclut les générations futures (LS 159)
« Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence ‘ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée’ » (LS 225 citant EG 71)
Une écologie intégrale est aussi faite de « simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme » (LS 230 évoquant sainte Thérèse de Lisieux).
L’écologie intégrale représente une nouvelle synthèse de la doctrine sociale de l’Église catholique. Pour bien saisir cette affirmation, il est utile de revenir à Rerum Novarum (1891), l’encyclique du pape Léon XIII considérée comme le point de départ de la pensée sociale moderne de l’Église catholique. Étant donné les excès des débuts de la révolution industrielle, le pape était préoccupé de voir les travailleurs considérés comme des choses, comme de simples unités de production. Pour combattre cette distorsion, il demandait instamment que les travailleurs soient traités comme des personnes possédant des droits et reliées essentiellement dans leur dignité à une famille, une communauté, une spiritualité.
Nous proposons le parallèle suivant : le pape François observe les excès de l’exploitation industrielle, d’une pensée technologique étroite, de la cupidité financière et consumériste et de l’indifférence sociale ; ces facteurs mènent à de grandes inégalités et à une cruelle marginalisation, qui se produisent en même temps que le réchauffement rapide de la planète et à la spoliation de la nature. Il demande, pour contrer ces maux, que soit adoptée une nouvelle attitude à l’égard de la nature et de l’environnement social. L’objectif de la pensée et de l’action associées à l’écologie intégrale – la nouvelle synthèse – serait d’œuvrer avec succès à la sauvegarde de notre maison commune dans ses aspects sociaux et matériels (naturels). L’IL caractérise l’écologie intégrale comme un « paradigme relationnel » qui assure l’« articulation fondamentale des liens qui rendent possible un véritable développement humain ».
Cette nouvelle synthèse constitue un avertissement au monde entier, à l’ensemble de l’humanité. Mais elle suggère également une nouvelle orientation et une nouvelle dynamique socio-pastorales pour l’Église. L’Église doit comprendre les difficultés que doivent affronter les individus, les familles et les groupes à l’intérieur de ces diverses dimensions ; nous ne pouvons fournir une aide spirituelle et des services pastoraux si les gens sont perçus séparément de (c’est-à-dire ne sont pas intégrés à la façon dont ils vivent et fonctionnent à l’intérieur des conditions naturelles, économiques et sociales qu’ils doivent affronter.
Appliquons maintenant ces idées à l’Amazonie.
Laudato si’ a été publiée en juin 2015. Au fil des années, des efforts innombrables ont été déployés pour la mise en œuvre d’une écologie intégrale, dont une bonne partie étaient attribuables à l’Église. Entre-temps, selon tous les indicateurs, la crise a empiré considérablement. Le Synode pour l’Amazonie est un effort délibéré de l’Église pour mettre en œuvre Laudato si’ dans cet environnement humain et naturel crucial.
La situation particulière de l’Amazonie exige « une option sincère pour la défense de la vie, pour la défense de la terre et pour la défense des cultures »; l’écologie intégrale comprend donc l’intégration de la vie, du territoire et de la cultures (IL 49). « L’Église ne peut manquer de se préoccuper du salut intégral de la personne humaine, ce qui implique de promouvoir la culture des populations autochtones, de parler de leurs besoins vitaux, d’accompagner les mouvements et de se mobiliser pour défendre leurs droits. » (IL 143).
Il appartient à toutes les parties de prêter attention : les personnes qui se trouvent en Amazonie maintenant ; celles qui vivent près de l’Amazonie, celles qui prévoient entrer en Amazonie et le reste du monde. Et dans cette perspective mondiale, l’Église cherche à assurer une direction qui écoute, respecte et soit soucieuse d’apprendre : « La culture de l’Amazonie, qui intègre les êtres humains à la nature, constitue la référence pour construire un nouveau paradigme de l’écologie intégrale » (IL 56).
3) Nouveaux chemins pour l’Église
Depuis Vatican II, la mission de l’Église dans le monde contemporain a prospéré grandement mais a échoué à l’occasion ; et elle fait continuellement et de plus en plus l’objet de débats. En réaction, comme le reconnaît le pape François, « l’Église aussi peut être tentée de demeurer refermée sur elle-même, en renonçant à sa mission d’annoncer l’Évangile et de rendre présent le Royaume de Dieu ». Au contraire, insiste-t-il, « une Église en sortie est une Église qui se confronte au péché de ce monde auquel elle n’est elle-même pas étrangère (voir EG 20-24) » (IL 100).
L’Église en sortie doit offrir des réponses appropriées ou pertinentes aux situations concrètes. En 2013, le pape François demandait aux évêques du Brésil de reconnaître l’Amazonie comme un véritable « banc d’épreuve » pour l’Église et la société ; l’Église, disait-il, est « déterminante pour l’avenir de cette région ».
Quels sont « les nouveaux chemins par lesquels l’Église en Amazonie annoncera l’Évangile de Jésus-Christ dans les prochaines années » (IL 5) ?
Les nouveaux chemins guident l’Église afin qu’elle agisse pour les gens, et non pour elle-même, et qu’elle s’engage avec les gens comme Peuple de Dieu actif. La diminution du nombre de religieux et de religieuses missionnaires au cours des dernières années compromet la présence de l’Église catholique auprès des peuples autochtones de l’Amazonie. La Conférence d’Aparecida a eu le courage d’admettre : « d’un côté beaucoup de personnes qui perdent le sens de la transcendance de leurs vies et abandonnent les pratiques religieuses, et, d’autre part, un nombre significatif de catholiques qui abandonnent l’Église pour passer dans d’autres groupes religieux ».
Le pontificat du pape François a mis l’Amazonie sur la sellette, et cela provoque une réponse rapide de plusieurs congrégations religieuses qui retournent là-bas et qui repensent ou réorientent leur mission sur ce territoire. Le Synode veut relever la demande d’Aparecida de relancer la mission de l’Église « avec fidélité et audace ». Nous devons saisir l’importance de notre présence sur ce territoire très spécial, et en même temps comprendre la singularité du mode d’évangélisation qu’exige ce territoire.
L'Église acquiert un visage amazonien par la participation de la grande diversité de peuples qui habitent ce territoire. Il s’agit non seulement des peuples qui y vivent et assurent sa sauvegarde depuis des milliers d’années, mais aussi de tous les nouveaux visages qui sont venus s’y installer. Ces derniers, dont beaucoup sont des fidèles catholiques, sont appelés particulièrement à se sentir intégrés à l’Amazonie, à la respecter et à s’y identifier. Comme le pape François nous l’a dit à Puerto Maldonado, « Aimez ce pays, prenez conscience que ce pays vous appartient. Respirez son air, mettez-vous à son écoute, admirez-le. Devenez amoureux de votre pays… engagez-vous pour sa sauvegarde et sa défense. N’utilisez pas ce pays comme un objet jetable ». Le Synode aidera tout le monde – les peuples autochtones, les populations riveraines, les gens de descendance africaine, les mestizos, les migrants des Andes – à s’approprier leur identité amazonienne et à trouver une structure ecclésiale et des statuts appropriés pour ses besoins pastoraux particuliers.
De nouveaux chemins pour l’Église, cela signifie également un approfondissement du « processus d’inculturation » (EG 126) et l’interculturalisme (voir LS 63, 143, 146). Et pour cela il est important que les peuples originaux fassent de l’Église « leur Église ». Ils doivent être des sujets actifs de l’évangélisation (et non seulement son objet), et le processus d’inculturation s’adresse à eux. Puisque leur présence est temporaire, les missionnaires doivent accepter d’assumer un rôle secondaire et de donner la priorité au protagonisme propre à la communauté autochtone évangélisée.
L’Église catholique doit relever un défi important et constant, soit de faire en sorte que les peuples originaux de l’Amazonie sentent qu’ils font partie d’elle et contribuent au rayonnement du Christ à partir des richesses spirituelles qui brillent dans leurs cultures. Cette attitude décisive et toute simple de l’Église n’empêche pas le dialogue interreligieux avec les groupes qui n’acceptent pas Jésus-Christ.
L’Instrumentum Laboris expose en détail la complexité du travail de l’Église en Amazonie. Les grandes distances, la diversité culturelle et le manque de prêtres obligent l’Église à offrir des réponses pastorales audacieuses et efficaces. Les Pères du Synode devront relever le défi en passant d’une « pastorale de visite » à une « pastorale de présence » (IL 128).
Ce changement important exige que l’on accentue les ministères et les services dans les communautés. D’une part, ce sera une occasion de continuer à mettre en œuvre Vatican II et à exploiter les possibilités qu’il offre aux pasteurs pour répondre efficacement aux besoins des ministères de leurs Églises locales. D’autre part, il reste à voir quelles innovations pastorales naîtront pour assurer la présence de ministres des sacrements dans chaque communauté. En ce sens, le ministre de l’eucharistie acquiert une pertinence spéciale dans la mesure où « l’Église tient sa vie de l’eucharistie et l’eucharistie construit l’Église ».
Tout cela exige des propositions « courageuses » de l’Église de l’Amazonie, ce qui en retour présuppose audace et passion, comme nous le demande le pape François (IL 106). Il a formulé de nombreuses incitations et suggestions pour un engagement audacieux dans la situation contemporaine – très précisément dans Laudato si’, de façon plus générale dans Evangelii Gaudium et Gaudete et Exsultate, et avec une sensibilité particulière à l’égard des aspirations humaines dans Amoris Laetitia. Ces documents aident à clarifier ce qui est pastoral pour les dirigeants de l’Église, les fidèles et les autres habitants de l’Amazonie
La grandeur et la stabilité rassurante du magistère ne doivent pas empêcher l’Église d’aborder des besoins uniques d’une manière appropriée. Un modèle particulier ne convient pas à toutes les situations et, dans cette région à l’heure actuelle, la difficulté est d’être une Église avec un visage amazonien et autochtone (voir IL 107-111, 115-116).
C’est là l’objectif du Synode prochain : chercher « de nouveaux chemins en vue d’une Église prophétique en Amazonie » (IL 147) pour l’Église et pour l’écologie intégrale.
4) Un synode ouvrant de nouveaux chemins
Les catholiques et les autres peuvent se surprendre de voir comment l’Église emploie de nos jours le terme « synode ». Jusqu’à tout récemment, la notion de synode était surtout familière chez les Chrétiens d’Orient ; et elle désigne une structure de certaines Églises chrétiennes non catholiques.
L’étymologie grecque de ce terme signifie faire route ensemble. Depuis le début, les disciples de Jésus ont tracé leur chemin à travers l’histoire, guidés par l’Esprit Saint et conduits par leurs pasteurs, sous la primauté de Pierre. Et en 1965, le saint pape Paul VI, qui appréciait les avantages de la collaboration étroite entre le Saint Père et les évêques déployée au cours de Vatican II, a décidé d’établir « un Conseil particulier d'évêques » pour que le peuple chrétien puisse continuer à profiter de ses « abondants bienfaits ».
Les Papes successifs ont eu recours fréquemment aux Synodes, qui sont de trois types : « l’assemblée générale ordinaire », pour les questions intéressant l’Église universelle, « l’assemblée générale extraordinaire », pour les questions particulièrement urgentes intéressant l’Église universelle et « l’assemblée spéciale » pour les questions concernant un continent ou une région en particulier. Le Synode pour l’Amazonie sera le 11e Synode de la catégorie « spéciale ».
Il s’agit d’une pratique évolutive. La plus récente instruction est la Constitution apostolique Episcopalis communio publiée par le pape François le 15 septembre 2018. Sans modifier leur statut formel comme groupe représentatif d’évêques offrant une aide consultative ou délibérative au Pontife suprême, le pape François a orienté les Synodes pour qu’ils deviennent une réalité plus riche que simplement celle d’évêques qui font route ensemble. Les Synodes deviennent de plus en plus des rassemblements de tout le Peuple de Dieu dans l’Église.
Une méthode employée pour encourager une plus grande inclusivité dans les Synodes a été
Le recours à des sondages pour recueillir des renseignements et les préoccupations des fidèles laïcs et des religieux, et non seulement des évêques, durant les étapes préparatoires.
De telles enquêtes ont été menées avant les Synodes sur la famille, sur la jeunesse et sur l’Amazonie.
Une autre méthode a été l’accroissement de la gamme des participants représentant divers aspects du sujet abordé. Cela a été une caractéristique notable du Synode sur la jeunesse, où le partage de la vie quotidienne avec les jeunes auditeurs a éclairé et influencé les délégués ayant droit de vote.
Le document final de ce Synode reconnaissait dans l’expérience synodale vécue
un fruit de l’Esprit qui renouvelle continuellement l’Église et l’appelle à pratiquer la synodalité comme façon d’être et d’agir, en encourageant la participation de tous les baptisés et des personnes de bonne volonté, chacun selon son âge, son état de vie et sa vocation. Dans ce Synode, nous avons constaté que la collégialité qui unit les évêques cum Petro et sub Petro, dans la sollicitude pour le Peuple de Dieu est appelée à s’articuler à la pratique de la synodalité à tous les niveaux et à s’en enrichir.
Tous les participants ont pris conscience de l’importance d’une forme synodale de l’Église pour l’annonce et la transmission de la foi. La participation des jeunes a contribué à « réveiller » la synodalité, qui est une « dimension constitutive de l’Église. […] Comme dit saint Jean Chrysostome, ‘Église et Synode sont synonymes’ » – parce que l’Église n’est autre que le « marcher ensemble » du troupeau de Dieu sur les sentiers de l’histoire à la rencontre du Christ Seigneur » La synodalité caractérise tant la vie que la mission de l’Église, qui est le Peuple de Dieu formé de jeunes et d’anciens, d’hommes et de femmes de toutes cultures et de tous horizons, et le Corps du Christ dans lequel nous sommes membres les uns des autres, reliés en particulier à ceux qui sont marginalisés et bafoués.
En vue de la mission aujourd’hui, l’Église est appelée à prendre un visage relationnel qui place au centre l’écoute, l’accueil, le dialogue et le discernement commun dans un parcours qui transforme la vie de ceux qui y participent. « Une Église synodale est une Église de l’écoute, avec la conscience qu’écouter ‘est plus qu’entendre’. C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, ‘l’Esprit de la vérité’ (Jn 14,17), pour savoir ce qu’il ‘dit aux Églises’ (Ap 2, 7) ».
De fait, l’écoute mutuelle, l’accueil, le dialogue, un discernement commun et un consensus pour déterminer les voies que Dieu trace pour nous en tant qu’Église, que Peuple de Dieu : ces dispositions sont fondamentales pour une Église « appelée à être toujours plus synodale » (IL 5). Elles sont fondamentales également pour le difficile parcours de sortie du cléricalisme, de sortie d’une insistance excessive sur l’importance de la centralisation dans l’Église, et vers une véritable subsidiarité. Une Église toujours plus synodale empruntera divers chemins dans différentes régions et situations, et sera de plus en plus à l’aise avec la diversité – qui manifestera différentes caractéristiques chez des peuples différents, et non une prescription unique pour toutes les situations.
L’IL conclut avec l’espérance que ce Synode « soit une expression concrète du caractère synodal d’une Église en sortie, pour que la vie en plénitude que Jésus est venu apporter au monde (voir Jn 10, 10) parvienne à tous, en particulier aux pauvres » (IL 147).
Ce Synode, « ce chemin parcouru ensemble », ne se terminera pas avec la messe de clôture, ni avec la présentation de son document final au pape, ni avec l’exhortation apostolique subséquente du pape, probablement au cours du premier semestre de 2020. Il visera une mise en œuvre, par le Peuple de Dieu et d’autres intervenants, d’actions pour sauvegarder une partie spécifique de la grande maison commune où nous vivons tous ainsi que de nouvelles voies pastorales pour l’Église.
Le Synode sera une séance où les évêques de l’Amazonie feront route ensemble, mais aussi avec les habitants de ces pays, avec les jeunes et avec l’Esprit Saint.
Conclusion
Voilà pourquoi, pendant le Synode d’octobre, le monde entier devrait faire route avec les peuples de l’Amazonie – non pas pour élargir ou détourner l’ordre du jour, mais pour aider le Synode à aboutir à des résultats concrets.
La région de l’Amazonie est énorme et présente des défis immenses. Si elle est détruite, les impacts se feront sentir à l’échelle mondiale.
Pour les peuples vivant sur ce territoire, l’Amazonie est leur maison au sens plein de ce terme ; « un travail est nécessaire pour aider à voir l’Amazonie comme une maison commune pour tous, qui mérite d’être sauvegardée par tous » (IL 129).
Pour la terre et l’humanité dans son ensemble, l’Amazonie est une partie vitale de notre maison commune. Si l’Amazonie est spoliée davantage, l’air pourrait devenir trop vicié et chaud pour soutenir la vie.
Ce sont les jeunes et les enfants à naître qui ont le plus à souffrir de cette crise. Comment les jeunes de l’Amazonie se joindront-ils aux jeunes du monde entier pour faire en sorte que, quand ils parviendront à l’âge adulte, tout le monde pourra respirer, vivre une vie humaine intégrale et transmettre un milieu vivable à leurs enfants ?
Et comment l’Église peut-elle aider à trouver de nouveaux chemins ? « Le monde amazonien demande à l’Église d’être son alliée » (IL 144).
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